Michel Onfray

L’homme est un animal qui, pour vivre, a besoin d’illusions. L’animal, non. Les hommes ont donc inventé un ciel intelligible, des dieux, puis un dieu, un paradis et un enfer, sinon un purgatoire. Ils ont eu besoin d’un sacré qui permet à la pensée magique de se donner libre cours – de la secte à la religion, en passant par les divers cultes spirituels, intellectuels, philosophiques ( adhérer à une école, avec un catéchisme, souscrire à une mythologie, à des rites , sacrifier à la notion de transcendance, récuser l’immanence, communier de façon tribale, etc Nous vivons dans la pensée magique… L’animal incarne le retour du refoulé qui nous gêne : il est, comme le nez au milieu de la figure, le rappel de ce que nous étions, sommes encore et serons toujours : un mammifère. D’où les rites de conjuration de cette animalité en nous. Au lieu de sculpter notre part animale, nous la détruisons avec véhémence. Notre acharnement à faire souffrir les animaux est en exacte relation avec la dénégation de notre part animale : quand un humain fait souffrir un animal, il jouit de n’en être pas un , du moins le croit-il, mais il montre par-là même la supériorité de l’animal sur l’homme : car seul ce dernier jouit de faire souffrir et de tuer, le premier tue pour manger et assurer la vie et la survie de son espèce.
Les hommes ne veulent pas mourir et pourrir – comme les animaux.

One thought on “Michel Onfray

  1. shinichi Post author

    Michel Onfray, philosophe, écrivain

    Propos recueillis par Anne-Sophie Novel

    Magazine Kaizen

    Le site officiel de Michel Onfray

    http://mo.michelonfray.fr/entretiens/magazine-kaizen-juilletaout-2012/

    Tout d’abord, pouvons-nous revenir sur les éléments qui conditionnent une vision spéciste ou anti-antispéciste du monde, aussi bien dans les religions que dans les grands courants de pensée philosophiques ?
    Les fondations ontologiques de l’anti-spécisme sont radicalement antimonothéistes puisque les trois monothéismes proposent un récit légendaire de la création dans lequel l’animal est présenté comme une quantité négligeable en regard de l’homme dont on affirme qu’il est le sommet de la création. Pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, le monde est séparé : entre Dieu et la nature, entre la nature et l’homme, entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’animal. D’un côté le créateur, de l’autre, sa création. Dans la création, d’un côté les créatures humaines, de l’autre, toutes les autres créatures, dont les animaux. Il existe un certain nombre de philosophes, négligés par l’institution philosophique, qui pensent le monde en monistes et affirment qu’il n’existe pas une différence de nature entre l’homme et l’animal, mais une différence de degrés. Ainsi, l’homme et l’animal sont, pour les matérialistes (de Démocrite aux derniers épicuriens en passant par Epicure et Lucrèce, et jusqu’aux neurobiologistes que sont, par exemple Jean-Didier Vincent ou Jean-Pierre Changeux), redevables d’un agencement atomique différent, certes, dont seul l’agencement diffère : le matériau est le même. Darwin fonde scientifiquement cette intuition philosophique en 1859 avec L’origine des espèces qui affirme que les hommes sont des animaux d’un genre particulier… L’occident, même athée, est globalement resté chrétien et nous n’avons pas encore tiré les conclusions du travail de Darwin.

    Outre l’idée judéo-chrétienne selon laquelle l’homme peut user des animaux « pour son loisir, son travail, sa nourriture et son plaisir » (comme vous le dites dans ce fameux article), quels sont les autres éléments pouvant expliquer les excès d’exploitation du vivant auxquels nous sommes arrivés aujourd’hui ?
    L’homme est un animal qui, pour vivre, a besoin d’illusions. L’animal, non. Les hommes ont donc inventé un ciel intelligible, des dieux, puis un dieu, un paradis et un enfer, sinon un purgatoire. Ils ont eu besoin d’un sacré qui permet à la pensée magique de se donner libre cours – de la secte à la religion, en passant par les divers cultes spirituels, intellectuels, philosophiques ( adhérer à une école, avec un catéchisme, souscrire à une mythologie, à des rites , sacrifier à la notion de transcendance, récuser l’immanence, communier de façon tribale, etc Nous vivons dans la pensée magique… L’animal incarne le retour du refoulé qui nous gêne : il est, comme le nez au milieu de la figure, le rappel de ce que nous étions, sommes encore et serons toujours : un mammifère. D’où les rites de conjuration de cette animalité en nous. Au lieu de sculpter notre part animale, nous la détruisons avec véhémence. Notre acharnement à faire souffrir les animaux est en exacte relation avec la dénégation de notre part animale : quand un humain fait souffrir un animal, il jouit de n’en être pas un , du moins le croit-il, mais il montre par-là même la supériorité de l’animal sur l’homme : car seul ce dernier jouit de faire souffrir et de tuer, le premier tue pour manger et assurer la vie et la survie de son espèce.

    Peut-on revenir sur les différences de nature et les différences de degré entre l’homme et l’animal : l’homme est-il un animal comme les autres ? Pourquoi est-ce si difficile de faire comprendre ces nuances ?
    Les hommes ne veulent pas mourir et pourrir – comme les animaux. Dès lors, ils inventent des arrières mondes dans lesquels on ne meurt plus et dans lesquels la vie après la mort peut être éternelle si on l’a méritée, autrement dit, si l’on ne s’est pas comporté comme un animal – selon la définition qu’en donnent les religions monothéistes : tout ce qui est passion, sensation, émotion, chair, pulsion, libido, sens et sensualité, nourriture, boisson, sexe, autrement dit, vérité des corps, est présenté comme détestable, haïssable, peccamineux. L’animal est pensé comme un repoussoir : il est le contre exemple par excellence. Dès lors, la compassion ne peut exister entre l’homme et l’ animal, puisque ce dernier est présenté comme ce qui, en nous, empêcherait la vie éternelle… Tant que notre civilisation sacrifiera aux récits légendaires monothéistes , l’animal sera présenté comme la part maudite de l’homme.

    L’anti-spécisme défend l’idée que l’on ne peut pas vivre sans les autres espèces, donc il faut les respecter. Que pensez-vous du combat porté par ceux qui réclament un statut juridique spécifique pour les animaux – qui sont encore classés pour l’instant dans la catégorie des « biens meubles » ?
    On peut en effet donner aux animaux un autre statut juridique que le leur. Car , évidemment, ils ne sont pas des biens meubles, mais des êtres vivants. Il faudrait envisager la totalité de notre législation et la déchristianiser sur ce point – comme sur beaucoup d’autres… Mais une réflexion est nécessaire en amont pour savoir si l’on peut parler en général des animaux, car le ver solitaire est un animal au même titre que le chat qui accompagne notre vie pendant parfois vingt ans… Faut-il préserver l’un et l’autre avec de mêmes textes de lois ? Non bien sûr… Mais, dans notre civilisation, le lapin, qui est devenu parfois un animal de compagnie tout autant qu’un animal comestible, serait l’enjeu de débats épiques…

    Au-delà du combat juridique, comment pourrions-nous introduire plus de respect dans la façon dont l’homme traite les animaux ?
    En étant exemplaire dans la punition des mauvais traitements infligés aux animaux… Mais aussi en éduquant. En popularisant le débat qui inviterait à réfléchir au sujet du statut des animaux dans notre société. En faisant entendre une voix pacifique, raisonnable et militante pour défendre les animaux. En se désolidarisant des outrances de certains discours de militants qui assimilent la batterie de poulets d’élevages (une abjection morale…) au système concentrationnaire nazi.

    L’homme est devenu ce qu’il est aujourd’hui en consommant de la viande (les paléo-anthropologues estiment que la consommation de viande a permis le développement du cerveau de l’hominidé, et notre dentition aurait aussi évolué avec la modification de notre régime alimentaire)… Peut-on donc être anti-spéciste et ne pas être végétarien/végétalien ?
    Vous posez une question importante… Je ressens pour ma part une contradiction (or, comme j’essaie de travailler à la cohérence de mon existence, je la ressens avec énervement…) dans le fait de penser ce que je pense et de manger tout de même de la viande. Même si je n’achète jamais de viande pour moi, il m’arrive d’en acheter pour des amis auxquels je fais à manger – ou pour ma compagne qui en mange, alors que je préfère le poisson – qui , je ne l’ignore pas, est aussi un animal… Mais on parle aussi de viande de poisson… Au restaurant, je mange toujours du poisson. Mais j’aime le foie gras, ce qui, je le sais, est une hérésie quand on pense ce que je pense et que l’on sait qu’il a fallu faire souffrir un animal par le gavage… Le comble pour un hédoniste… La viande n’est pas seulement un aliment, elle est aussi un symbole et parfois un symbole festif dont ne se défait pas facilement : le chapon ou la dinde de Noël, les huîtres (des animaux mangés vivants et tout crus…) et le foie gras des fêtes, le poulet rôti ou le gigot des familles du dimanche, la côte de boeuf grillée ou les merguez des repas de copains… Je suis victime de la logique perverse que je décris, ce qui nomme tout cru, si je puis me permettre l’expression, l’aliénation !

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