L’Événement (Annie Ernaux)

Je suis descendue à Barbès. Comme la dernière fois, des hommes attendaient, groupés au pied du métro aérien. Les gens avançaient sur le trottoir avec des sacs roses de chez Tati. J’ai pris le boulevard de Magenta, reconnu le magasin Billy, avec des anoraks suspendus au-dehors. Une femme arrivait en face de moi, elle portait des bas noirs à gros motifs sur des jambes fortes. La rue Ambroise-Paré était presque déserte jusqu’aux abords de l’hôpital. J’ai suivi le long couloir voûté du pavillon Elisa. La première fois je n’avais pas remarqué un kiosque à musique, dans la cour qui longe le couloir vitré. Je me demandais comment je verrais tout cela après, en repartant. J’ai poussé la porte 15 et monté les deux étages. À l’accueil du service de dépistage, j’ai remis le carton où est inscrit mon numéro. La femme a fouillé dans un fichier et elle a sorti une pochette en papier kraft contenant des papiers. J’ai tendu la main mais elle ne me l’a pas donnée. Elle l’a posée sur le bureau et m’a dit d’aller m’asseoir, qu’on m’appellerait.
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J’ai fini de mettre en mots ce qui m’apparaît comme une expérience humaine totale, de la vie et de la mort, du temps, de la morale et de l’interdit, de la loi, une expérience vécue d’un bout à l’autre au travers du corps.
… Et mon véritable but est peut-être seulement celui-ci : que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture, c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres.
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Et, comme d’habitude, il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi.

3 thoughts on “L’Événement (Annie Ernaux)

  1. shinichi Post author

    L’Événement

    Annie Ernaux

    Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d’un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon, entendre par hasard La javanaise, J’ai la mémoire qui flanche, n’importe quelle chanson qui m’a accompagnée durant cette période, me bouleverse.

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    Dans l’impossibilité absolue d’imaginer qu’un jour les femmes puissent décider d’avorter librement. Et, comme d’habitude, il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi.

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    Que la forme sous laquelle j’ai vécu cette expérience de l’avortement – la clandestinité – relève d’une histoire révolue ne me semble pas un motif valable pour la laisser enfouie – même si le paradoxe d’une loi juste est presque toujours d’obliger les anciennes victimes à se taire, au nom de « c’est fini tout ça », si bien que le même silence qu’avant recouvre ce qui a eu lieu. C’est justement parce que aucune interdiction ne pèse plus sur l’avortement que je peux, écartant le sens collectif et les formules nécessairement simplifiées, imposées par la lutte des années soixante-dix – « violence faite aux femmes », etc. –, affronter, dans sa réalité, cet événement inoubliable.

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    Elle était partout. Dans les euphémismes et les litotes de mon agenda, les yeux protubérants de Jean T., les mariages dits forcés, Les Parapluies de Cherbourg, la honte de celles qui avortaient et la réprobation des autres. Dans l’impossibilité absolue d’imaginer qu’un jour les femmes puissent décider d’avorter librement. Et, comme d’habitude, il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi.

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    En me quittant, faisant allusion à mon avortement, elle a conclu avec conviction, “vous êtes bien plus tranquille comme ça !”. C’est la seule parole consolatrice qui m’ait été offerte à l’Hôtel-Dieu et que j’ai dru, moins peut-être à une complicité de femmes, qu’à une acceptation par les “petites gens” du droit des “hauts placés” à se mettre au-dessus des lois.

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    Avec l’entrée en scène du médecin de garde, c’est la seconde partie de la nuit qui commence. D’expérience pure de la vie et de la mort, elle est devenue exposition et jugement.

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    J’étais ivre d’une intelligence sans mot.

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    Comme la plupart des parents, les miens s’imaginaient détecter infailliblement au premier coup d’œil le moindre signe de dérive. Pour les rassurer, il suffisait d’aller les voir régulièrement, avec le sourire et un visage lisse, apporter son linge sale et remporter des provisions.

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    Première à faire des études supérieures dans une famille d’ouvriers et de petites commerçants, j’avais échappé à l’usine et comptoir. Mais ni le bac ni la licence de lettres n’avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d’une pauvreté dont la fille enceinte, était, au même titre que l’alcoolique, l’emblème. J’étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c’était, d’une certaine manière, l’échec social.

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    Le temps a cessé d’être une suite insensible de jours, à remplir de cours et d’exposés, de stations dans les cafés et à la bibliothèque, menant aux examens et aux vacances d’été, à l’avenir. Il est devenu une chose informe qui avançait à l’intérieur de moi et qu’il fallait détruire à tout prix.

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    Et, comme d’habitude, il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi.

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  2. shinichi Post author

    事件

    by アニー・エルノー
    translated by 菊地よしみ

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    p.94
    わたしは、1963年、いまと同じ恐怖と信じられない思いでN医師の診断を待っていたときと同様、このラリボワジエール病院での瞬間を生き延びたのだと悟った。わたしの人生は、それゆえ、オギノ式と自動販売機で1フランのコンドームとのあいだに位置づけられている。それはわたしの人生を評価するよい方法だ。ほかのやり方より確かな方法でもある。

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    p.104
    あらためて人生のあの時期に身を投じて、そこで何を見いだせるのか探ってみたい。その探究は物語の横糸として織りこまれるだろう。そうすることしか、わたしの内部と外部の時間でしかなかった出来事は用言できない。その数カ月のあいだつけていた日記と手帳が、手がかりをもたらし、事実を証明するのに必要な証拠となってくれるだろう。何よりもまず、わたしは、ひとつひとつのイメージのなかに降りていって、それらと“ふたたび一体になった”肉体的感覚が得られるまで、そうして、“まさしくそれだ”と言えるいくつかの言葉が現れてくるまで、努めてみるつもりでいる。つまりそれは、わたしのなかで消えずにいる、そうした言葉のひとつひとつにふたたび耳を傾けることであり、当時はその意味がどうにも我慢できなかったり、あるいは逆にひどく慰められたに違いない言葉――いま考えてみても、嫌悪感ややさしい感情に呑み込まれるはずの言葉――を聞きなおすことなのである。

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    p.125
    (話に引きずられて、知らないうちに、ひとつの方向に――不可抗力的に進みはじめた不幸という方向に――向かわされているようだ。日々や週を駆け抜けていきたい欲望に抗うようにしなくてはならない。あらゆる手段――細かな事柄の探索と記述、半過去時制の使用、事実の分析を用いて、まるで夢のなかの時間のように、進まずに濃密になっていったあの時間、あくまでも緩慢に流れていたあのときの時間を維持するように努めよう)。

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    p.196
    ルーアンに戻った。寒いけれど、日差しにめぐまれた2月だった。同じ世界に戻ってきたとは思えなかった。通行人の顔、車、学食のテーブルの上のお盆、目にするものは何もかも、意味があふれているように思えた。でも、まさにその過剰さのゆえに、ひとつとしてその意味がつかめなかった。一方には意味の過剰な存在と物があり、もう一方には意味を欠いた言葉と単語があった。わたしは、言語を超えた、熱に浮かされたような純粋意識の状態にあり、それは夜でも中断しなかった。自分は目覚めていると確信している。明晰な睡眠を眠っていた。わたしの前には、ちっちゃな白い胎児が浮いていた。ジュール・ヴェルヌの小説のなかで、虚空に投げ捨てられた犬の死骸が、どこまでも宇宙飛行士たちのあとをついてくるのに似ていた。

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    p.204
    わたしは、あの出来事に関してこれまで感じてきた唯一の罪悪感を消し去った。あれがこの身に起こったのに――せっっかくの贈り物を無駄にしてしまうように――それについて何もしなかったという思いを。というのも、わたしが経験したことに関して見いだしうる、あらゆる社会的、心理学的な理由を越えて、何よりも確信している理由がひとつあるからだ。それは、さまざまなことがこの身に起こったのは、それを説明するためなのだということ。それと、わたしの人生の真の目的は、おそらくこういうことでしかないからだ。わたしの体、感覚、思考を書く行為によって――言い換えれば、一般的に理解できるものによって――ほかの人たちの頭と人生のなかに完全に溶け込む、わたしの存在にするということ。

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  3. shinichi Post author

    あのこと

    (映画)

    https://gaga.ne.jp/anokoto/

    舞台は1960年代、法律で中絶が禁止されていたフランス。望まぬ妊娠をした大学生のアンヌが、自らが願う未来をつかむために、たった一人で戦う12週間が描かれる。この作品の特別なところは、本作と対峙した観客が、「観た」ではなく「体験した」と、語ること。全編アンヌの目線で描かれる本作は、特別なカメラワークもあり、観ている者の主観がバグるほどの没入感をもたらし、溺れるほどの臨場感であなたを襲う。

    原作はノーベル賞に最も近い作家とリスペクトされるアニー・エルノーが、自身の実話を基に書き上げた「事件」。主演は本作でセザール賞を受賞したアナマリア・ヴァルトロメイ。
    タイムリミットが迫る中、闇をくぐり抜け、アンヌがたどり着く光とは?身を焦がすほどの映画体験をあなたに──。

    1960年代、中絶が違法だったフランス。
    大学生のアンヌは予期せぬ妊娠をするが、
    学位と未来のために今は産めない。選択肢は1つ――。

    アンヌの毎日は輝いていた。貧しい労働者階級に生まれたが、飛びぬけた知性と努力で大学に進学し、未来を約束する学位にも手が届こうとしていた。ところが、大切な試験を前に妊娠が発覚し、狼狽する。中絶は違法の60年代フランスで、アンヌはあらゆる解決策に挑むのだが──。

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