Anne Delestrade

montblanLe réchauffement climatique, on en parle beaucoup, mais cela reste abstrait. Visualiser ses effets à l’échelle de tout un massif, sur les glaciers aussi bien que sur la flore ou la faune, c’est plus percutant. On a essayé de se projeter dans le XXIe siècle. Même si cela reste très théorique, ne serait-ce que du fait de l’incertitude des modèles mathématiques.

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  1. shinichi Post author

    LE MONT-BLANC, ENCORE BLANC DANS CENT ANS ?

    Des glaciers qui battent en retraite, des végétaux en quête de fraîcheur sur les hauteurs… Des chercheurs ont simulé l’impact du réchauffement jusqu’en 2100 à l’échelle de tout le massif alpin. Des études et modélisations inédites mises en ligne sur la Toile.

    25 JUIN 2013
    Photo: CC Gabriel Rinaldi
    Texte: Eliane Patriarca

    http://voyages.liberation.fr/montagne/le-mont-blanc-encore-blanc-dans-cent-ans

    En 2100, le Mont-Blanc aura-t-il pris des allures pyrénéennes sous l’effet de la hausse des températures et d’une multiplication des jours de canicule ? Au XXe siècle, les températures dans le massif alpin ont augmenté de 1,5 degré, soit trois fois plus vite que la moyenne globale planétaire, avec des effets évidents : les glaciers se retirent, les arbres et plantes grimpent en altitude, des parois rocheuses s’effondrent…

    Récemment mis en ligne par le Centre de recherches sur les écosystèmes alpins (Crea) de Chamonix (Haute-Savoie), l’Atlas scientifique du Mont-Blanc ouvre une fenêtre sur le futur du massif. «Le réchauffement climatique, on en parle beaucoup, mais cela reste abstrait, indique Anne Delestrade, écologue fondatrice du Crea, un organisme associatif de recherches. Visualiser ses effets à l’échelle de tout un massif, sur les glaciers aussi bien que sur la flore ou la faune, c’est plus percutant. On a essayé de se projeter dans le XXIe siècle. Même si cela reste très théorique, ne serait-ce que du fait de l’incertitude des modèles mathématiques.»

    Hausses de 4 à 5°C

    L’atlas se présente sous la forme d’un site web (http://www.atlasmontblanc.org), en accès libre, où abondent cartes du massif, représentations en 3 D photos, vidéos. Financé par l’Union européenne dans le cadre du projet Alcotra, cet outil est destiné à sensibiliser le grand public (habitants, touristes, enseignants ou accompagnateurs de moyenne montagne), mais son contenu est de haut niveau : il présente quelque 200 études scientifiques parmi les plus récentes sur les Alpes et nombre des plus importants laboratoires de recherche – français, italiens et suisses – en biodiversité, glaciologie et climatologie y contribuent. Durant trois ans, les chercheurs ont jonglé avec des paramètres climatiques et écologiques pour modéliser ce qu’a été ou pourrait devenir le massif. «Nous avons travaillé sur le scénario moyen d’émissions de gaz à effet de serre du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat [Giec], qui anticipe des hausses de températures de l’ordre de 4 à 5°C pour les Alpes d’ici à 2100,précise Anne Delestrade. Nous mettrons bientôt en ligne les données correspondant aux deux autres scénarios du Giec.»

    Afin de simuler l’évolution des températures, les chercheurs ont adapté les résultats de modélisations faites à l’échelle européenne, puis les ont «projetés» sur le massif en tenant compte des variations d’altitude. «Cela nous a permis de générer des cartes de températures et de précipitations avec une résolution de l’ordre de dix mètres», précise Niklaus Zimmermann, écologue de l’Institut fédéral suisse de recherches sur la forêt, la neige et le paysage. D’ici à 2100, à moyenne et basse altitudes, le couvert neigeux pourrait disparaître. C’est en été que le changement sera le plus accentué : les températures pourraient augmenter de 6 à 8°C . En hiver, la hausse de 3 à 4°C s’accompagnerait d’une légère augmentation des précipitations.

    Incarnation de ce changement : l’isotherme zéro grimpe. Cette courbe d’altitude à laquelle on trouve une température de 0°C est une donnée capitale en montagne, car elle détermine la limite pluie-neige, la fusion de la glace, ou encore le pergélisol, ces conditions de gel permanent qui soudent les matériaux, notamment rocheux, entre eux. Au fil des étés, l’isotherme zéro est monté en altitude et montera encore. Il se situera à 4 083 mètres à l’été 2100, soit 700 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Or, le massif ne compte qu’une dizaine de sommets de plus de 4 000 mètres ! Les glaciers, les animaux ou les plantes qui ont besoin de températures estivales négatives verront donc leur habitat réduit.

    Résistance au-delà de 4 000 mètres

    Le retrait des glaciers alpins s’est énormément accéléré depuis les années 80, même si la dynamique de cette évolution est plus ancienne : l’atlas le montre en retraçant quelques épisodes de la vie de ces géants depuis la dernière glaciation. Il y a 18 000 ans, ils occupaient 450 km² et s’étendaient côté français jusqu’à la banlieue lyonnaise. En 2000, ils ne recouvraient plus que 160 km 2. Et ils pourraient perdre 50% à 90% de leur masse d’ici à 2100. Modéliser précisément l’évolution d’un glacier n’est pas simple, car le temps et l’intensité de la réponse aux changements climatiques sont propres à chacun. On le voit bien avec l’étude comparée de deux d’entre eux, géographiquement proches : la mer de Glace et le glacier des Bossons. Entre 1820 et 2005, la mer de Glace a perdu plus de 2,2 km de longueur, tandis que le glacier des Bossons, plus petit et plus pentu, ne s’est retiré «que» de 1,5 km.

    En basse et moyenne altitude, «les glaciers reculent en moyenne de 20 à 30 mètres par an», constate Christian Vincent, chercheur au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (université Joseph- Fourier de Grenoble-CNRS). «Même des prévisions modérées – à savoir + 2° ou 3°C d’ici à 2100 – condamnent à terme les masses glaciaires qui culminent à moins de 3 400 mètres. Par contre, au-dessus de 4 000 mètres, les glaciers résisteront longtemps.» Le glaciologue, qui réalise des mesures de l’épaisseur de glace au sommet du mont Blanc (4 810 mètres) et du dôme du Goûter (4 304 mètres), a constaté qu’elle n’a perdu que 3 mètres en un siècle. A ces altitudes, la température moyenne annuelle reste négative et la glace ne fond pratiquement jamais.

    Le retrait des glaciers n’est pas le seul changement dans le paysage. «La plupart des espèces végétales montent en altitude, indique Anne Delestrade. Au cours du XXe siècle, elles se sont hissées de 29 mètres tous les dix ans.»

    Le Laboratoire d’écologie alpine de Grenoble (CNRS-université de Grenoble) a cartographié les habitats de 150 espèces végétales puis modélisé leur aire de répartition future, à 10 mètres de résolution. Comment fait-on ? On observe les paramètres (climat, sol, eau…) qui permettent à l’espèce de survivre et on regarde où ils se retrouveront à l’avenir, en postulant que ce sera la nouvelle «niche» de l’espèce.

    «Ce sont les plantes les plus spécialisées qui devraient le plus souffrir de la hausse des températures. Du fait de cette spécialisation acquise au fil des millénaires pour résister aux conditions climatiques extrêmes, elles seront peu enclines à la migration», observe Wilfried Thuiller, écologue et biomathématicien au Leca. «Les habitats favorables aux plantes du massif verront leur surface diminuer de moitié.» Ainsi la renoncule des glaciers, qui fleurit dans les éboulis et les fissures de rochers autour de 2 600 mètres, devrait grimper de 1200 mètres en un siècle. Mais y survivra-t-elle ? L’épicéa, espèce dominante aujourd’hui, ne le sera plus. Il grimpera de 500 mètres pour trouver son optimum écologique mais risque de souffrir du manque d’eau en été.

    Extrapolations

    Wilfried Thuillier met néanmoins en garde contre le simplisme des modèles actuels, incapables de prévoir les réactions singulières des espèces, de reproduire toutes les interactions entre espèces, ou avec le sol, le climat… «Dans certaines zones, où on ne les attend pas, des plantes plus résistantes s’accomoderont sans doute pendant un temps à leurs nouvelles conditions, d’autres seront incapables de migrer» , nuance-t-il.

    L’atlas du Mont-Blanc n’en est qu’à ses débuts. Il devrait s’enrichir d’une cartographie des habitats de la faune et de leur évolution, ainsi que d’un chapitre géologie. Sa valeur ne se limite pas au massif : «Observer et prévoir les conséquences d’une augmentation des températures nous intéresse aussi pour extrapoler à l’ensemble de l’Europe ou aux pôles», explique Anne Delestrade. Le massif du Mont-Blanc présente une diversité d’écosystèmes, unique en Europe sur une échelle aussi concentrée, de 500 mètres à 4 810 mètres d’altitude. Selon Martin Beniston, climatologue à l’université de Genève, sur quelques kilomètres de distance, entre Saint-Gervais et le sommet du mont Blanc, on observe une transition rapide de végétation et d’environnements, comme si l’on passait de la Méditerranée au Groënland.

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