Giorgio Agamben

Au sortir du lycée, je n’avais au fond qu’un désir : écrire. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Ecrire quoi ? Je crois que c’est un désir de se rendre la vie possible. Ce qu’on veut, ce n’est pas « écrire », c’est « pouvoir » écrire. C’est un geste philosophique inconscient : on essaie de se rendre la vie possible, ce qui est une bonne définition de la philosophie. Or le droit, c’est apparemment le contraire, c’est le nécessaire et pas le possible. Mais si j’ai étudié le droit, c’est que je ne pouvais sans doute pas accéder au possible sans faire l’épreuve du nécessaire. En tout cas, mes études de droit m’ont été très utiles le moment venu. Le pouvoir a laissé tomber les concepts politiques au profit des concepts juridiques. Le juridique ne cesse de proliférer : on fait des lois sur tout, dans des domaines autrefois inconcevables. Cette prolifération est dangereuse ; dans nos sociétés démocratiques, il n’y a plus rien qui ne soit normé. J’ai découvert une chose très belle chez les juristes arabes. Ils représentent le droit par une sorte d’arbre avec, à un extrême, ce qui est interdit et, à l’autre, ce qui est obligatoire. Pour eux, la tâche du juriste se situe entre ces deux pôles, c’est-à-dire concerne tout ce qu’on peut faire sans que cela soit juridiquement sanctionné. Cette zone de liberté ne cesse de se rétrécir, alors qu’elle devrait s’élargir.

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