Pierre Lévy

La force et la vitesse de la virtualisation contemporaine sont si grandes qu’elles exilent les êtres de leurs propres savoirs, qu’elles les chassent de leur identité, de leur métier, de leur pays. Les gens sont poussés sur les routes, s’entassent dans les bateaux, se bousculent dans les aéroports. D’autres, encore plus nombreux, véritables immigrés de la subjectivité, sont forcés à un nomadisme de l’intérieur.

4 thoughts on “Pierre Lévy

  1. shinichi

    Comment répondre à cette situation ? Faut-il résister à la virtualisation, se crisper sur les territoires et les identités menacées ? Telle est l’erreur fatale à ne surtout pas commettre. Car la conséquence ne peut être, à terme, que le déchaînement de la violence brutale, comme ces tremblements de terre dévastateurs qui résultent de l’inélasticité et du blocage trop longtemps maintenu de telle plaque de l’écorce terrestre. Nous devons plutôt tenter d’accompagner et de donner sens à la virtualisation, tout en inventant un nouvel art de l’hospitalité. La plus haute morale des nomades doit devenir, en ce moment de grande déterritorialisation, une nouvelle dimension esthétique, le trait même de la création. L’art, et donc la philosophie, la politique et la technologie qu’il inspire et traverse, doit opposer une virtualisation requalifiante, inclusive et hospitalière à la virtualisation pervertie qui exclue et disqualifie.

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  2. shinichi

    (Google translation)
    The strength and speed of modern virtualization are so large that they exiled beings of their own knowledge, they drove them from their identity, their job, their country. People are driven on the roads, crowded into the boats jostle in airports. Others, more numerous true subjectivity immigrants are forced nomadism within. How to respond to this situation? Should resist the virtualization tense in the territories and identities threatened? This is the fatal mistake especially not commit. Because the result can not be ultimately the unleashing of brutal violence, as the devastating earthquakes that result from inelastic and blocking too long maintained such plate of the earth’s crust. Rather, we must try to support and give meaning to virtualization, while inventing a new art of hospitality. The highest morality must become nomads, in this time of great deterritorialization, a new aesthetic, the line of creation. The art and therefore philosophy, politics and technology that inspires and crosses must oppose virtualization requalifiante, inclusive and hospitable virtualization perverted that excludes and disqualifies.

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  3. shinichi

    L’actuel et le virtuel

    Considérons pour commencer l’opposition facile et trompeuse entre réel et virtuel. Dans l’usage courant, le mot virtuel s’emploie souvent pour signifier la pure et simple absence d’existence, la “réalité” supposant une effectuation matérielle, une présence tangible. Le réel serait de l’ordre du “je le tiens” tandis que le virtuel serait de l’ordre du “tu l’auras”, ou de l’illusion, ce qui permet généralement l’usage d’une ironie facile pour évoquer les diverses formes de virtualisation. Comme nous le verrons plus loin, cette approche comporte une part de vérité intéressante, mais elle est évidemment beaucoup trop grossière pour fonder une théorie générale.

    Le mot virtuel vient du latin médiéval virtualis, lui-même issu de virtus, force, puissance. Dans la philosophie scolastique, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte. Le virtuel tend à s’actualiser, sans être passé cependant à la concrétisation effective ou formelle. L’arbre est virtuellement présent dans la graine. En toute rigueur philosophique, le virtuel ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel : virtualité et actualité sont seulement deux manières d’être différentes.

    Ici, il faut introduire une distinction capitale entre possible et virtuel, que Gilles Deleuze a mise en lumière dans Différence et répétition 1. Le possible est déjà tout constitué, mais il se tient dans les limbes. Le possible se réalisera sans que rien ne change dans sa détermination ou dans sa nature. C’est un réel fantomatique, latent. Le possible est exactement comme le réel : il ne lui manque que l’existence. La réalisation d’un possible n’est pas une création, au sens plein de ce terme, car la création implique aussi la production innovante d’une idée ou d’une forme. La différence entre possible et réel est donc purement logique.

    Le virtuel, quant à lui, ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel. Contrairement au possible, statique et déjà constitué, le virtuel est comme le complexe problématique, le noeud de tendances ou de forces qui accompagne une situation, un événement, un objet ou n’importe quelle entité et qui appelle un processus de résolution : l’actualisation. Ce complexe problématique appartient à l’entité considérée et en constitue même une des dimensions majeures. Le problème de la graine, par exemple, est de faire pousser un arbre. La graine “est” ce problème, même si elle n’est pas seulement cela. Cela ne signifie pas qu’elle “connaisse” exactement la forme de l’arbre qui, finalement, épanouira son feuillage au-dessus d’elle. A partir des contraintes qui sont les siennes, elle devra l’inventer, le coproduire avec les circonstances qu’elle rencontrera.

    D’un côté, l’entité porte et produit ses virtualités : un événement, par exemple, réorganise une problématique antérieure et il est susceptible de recevoir des interprétations variées. D’un autre côté, le virtuel constitue l’entité : les virtualités inhérentes à un être, sa problématique, le noeud de tensions, de contraintes et de projets qui l’animent, les questions qui le meuvent sont une part essentielle de sa détermination.

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