Alain Badiou, Nicolas Truong

L’amour ne peut pas se réduire à la rencontre, car il est une construction. […] Le point le plus intéressant, au fond, ce n’est pas la question de l’extase des commencements. Il y a bien sûr une extase des commencements, mais un amour, c’est avant tout une construction durable. Disons que l’amour est une aventure obstinée. Le côté aventureux est nécessaire, mais ne l’est pas moins l’obstination. Laisser tomber au premier obstacle, à la première divergence sérieuse, aux premiers ennuis, n’est qu’une défiguration de l’amour. Un amour véritable est celui qui triomphe durablement, parfois durement, des obstacles que l’espace, le monde et le temps lui proposent.

3 thoughts on “Alain Badiou, Nicolas Truong

  1. shinichi Post author

    Je crois qu’il y a une conception romantique de l’amour encore très présente, qui, en quelque manière, le consume dans la rencontre. C’est-à-dire que l’amour est brûlé, consommé et consumé en même temps, dans la rencontre, dans un moment d’extériorité magique au monde tel qu’il est. Quelque chose arrive, là, qui est de l’ordre du miracle , une intensité d’existence, une rencontre fusionnelle. Mais lorsque les choses se déroulent ainsi, nous ne sommes pas en présence de la “scène du Deux”, mais de la “scène de l’Un”. C’est la conception fusionnelle de l’amour: les deux amants se sont rencontrés et quelque chose comme un héroïsme de l’Un a eu lieu contre le monde. On remarquera que, très souvent, dans la mythologie romantique, ce point de fusion conduit à la mort. Il y a un lien intime et profond entre l’amour et la mort, dont le sommet est sans doute le Tristan et Isolde de Richard Wagner, parce qu’on a consumé l’amour dans le moment ineffable et exceptionnel de la rencontre et qu’après on ne peut plus rentrer dans le monde qui reste extérieur à la relation.
    C’est une conception romantique radicale, et je crois qu’elle doit être récusée. Elle a une beauté artistique extraordinaire, mais, à mon avis, un inconvénient existentiel grave. Je crois qu’il faut la tenir pour un mythe artistique puissant mais pas pour une philosophie véritable de l’amour. Parce que l’amour, après tout, a lieu dans le monde. C’est un évènement qui n’était pas prévisible ou calculable selon les lois du monde. Rien ne permettait d’arranger la rencontre – même pas Meetic, quand bien même on aurait fait de longs chats avant! – parce que, finalement, au moment où on se voit, on se voit, ça, c’est irréductible! Mais l’amour ne peut pas se réduire à la rencontre, car il est une construction. L’énigme de la pensée de l’amour, c’est la question de cette durée qui l’accomplit. Le point le plus intéressant, au fond, ce n’est pas la question de l’extase des commencements. Il y a bien sûr une extase des commencements, mais un amour, c’est avant tout une construction durable. Disons que l’amour est une aventure obstinée. Le côté aventureux est nécessaire, mais ne l’est pas moins l’obstination. Laisser tomber au premier obstacle, à la premièe divergence sérieuse, aux premiers ennuis, n’est qu’une défiguration de l’amour. Un amour véritable est celui qui triomphe durablement, parfois durement, des obstacles que l’espace, le monde, le temps lui proposent.

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  2. shinichi Post author

    Dans les contes, on n’en dit pas grand-chose, n’est-ce pas. Dans les contes, on dit: “ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.” Oui, mais bon, l’amour, est-ce que c’est se marier? Est-ce que c’est avoir beaucoup d’enfants? Cette explication est un peu maigre et un peu stéréotypée. L’idée que l’amour s’achève ou se réalise dans la création d’un univers familial n’est pas satisfaisante. Non pas que l’univers familial ne fasse pas partie de l’amour – je maintiens, moi, qu’il fait partie de l’amour -, mais on ne peut pas le réduire à ça. Il faut comprendre comment la naissance de l’enfant fait partie de l’amour, mais il ne faut pas dire que la réalisation de l’amour, c’est la naissance d’un enfant. C’est la question de la durée qui m’intéresse dans l’amour. Précisons: par “durée”, il ne faut pas entendre principalement que l’amour dure, qu’on s’aime toujours, ou pour toujours. Il faut entendre que l’amour invente une façon différente de durer dans la vie. Que l’existence de chacun, dans l’épreuve de l’amour, se confronte à une temporalité neuve. Certes, pour parler comme le poète, l’amour est aussi le “dur désir de durer”. Mais plus encore, il est le désir d’une durée inconnue. Parce que, tout le mond le sait, l’amour est une réinvention de la vie. Réinventer l’amour, c’est réinventer cette réinvention.

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