Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts

«Demain : House of Cards. Pas de spoilers, s’il vous plaît.» Qui donc a réclamé ainsi, jeudi sur Twitter, qu’on ne lui gâche pas la surprise de la série avec Kevin Spacey ? Barack Obama, rien de moins. Le président des Etats-Unis, et avec lui 33,4 millions de foyers américains, est abonné au site de vidéos par abonnement Netflix qui, vendredi, a mis en ligne les 13 épisodes de la seconde saison de l’incroyable thriller politique du réalisateur David Fincher (The Social Network). Il fallait voir, depuis des semaines sur Twitter l’attente angoissée et, vendredi, la découverte hystérique des épisodes… Ici, les fans rongent leur frein, ne pouvant s’abonner à Netflix depuis la France. Dès ce samedi matin, un bon paquet d’entre eux, à bout, téléchargera la série illégalement. D’autres attendront la diffusion sur Canal +, le 13 mars. Mais l’année prochaine, peut-être François Hollande se fendra-t-il à son tour d’un tweet impatient pour la troisième saison de House of Cards : car l’arrivée de Netflix en France, c’est pour demain, c’est pour l’automne.
Enfin, normalement. Car des herses se sont levées. Canal + s’agite tant et plus pour empêcher son débarquement. Le cinéma prend vapeur, redoutant de voir s’amocher le chiffre d’affaires de Canal + et, partant, sa contribution au financement des films français. Le gouvernement prévient que, pour s’installer ici, Netflix devra se plier à la réglementation. En face, le consommateur attend, voire trépigne. Car Netflix, c’est un argument de poids : 8 dollars par mois (6 euros) accessible sur ordinateur, tablette ou télé … contre 39,90 euros pour Canal +. Qui, certes, avance ses films en première exclusivité, ses productions propres (les Revenants, Braquo, etc.). Mais Netflix, c’est une centaine de milliers de films et des wagons de séries à disposition en streaming.

One thought on “Raphaël Garrigos, Isabelle Roberts

  1. shinichi Post author

    Netflix, un coup de pied dans la télé

    par Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts

    http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2014/02/14/netflix-un-coup-de-pied-dans-la-tele_980403

    Le service américain de vidéo à la demande par abonnement prépare son arrivée prochaine en France. Canal + tremble déjà.

    «Demain : House of Cards. Pas de spoilers, s’il vous plaît.» Qui donc a réclamé ainsi, jeudi sur Twitter, qu’on ne lui gâche pas la surprise de la série avec Kevin Spacey ? Barack Obama, rien de moins. Le président des Etats-Unis, et avec lui 33,4 millions de foyers américains, est abonné au site de vidéos par abonnement Netflix qui, vendredi, a mis en ligne les 13 épisodes de la seconde saison de l’incroyable thriller politique du réalisateur David Fincher (The Social Network). Il fallait voir, depuis des semaines sur Twitter l’attente angoissée et, vendredi, la découverte hystérique des épisodes… Ici, les fans rongent leur frein, ne pouvant s’abonner à Netflix depuis la France. Dès ce samedi matin, un bon paquet d’entre eux, à bout, téléchargera la série illégalement. D’autres attendront la diffusion sur Canal +, le 13 mars. Mais l’année prochaine, peut-être François Hollande se fendra-t-il à son tour d’un tweet impatient pour la troisième saison de House of Cards : car l’arrivée de Netflix en France, c’est pour demain, c’est pour l’automne.

    Enfin, normalement. Car des herses se sont levées. Canal + s’agite tant et plus pour empêcher son débarquement. Le cinéma prend vapeur, redoutant de voir s’amocher le chiffre d’affaires de Canal + et, partant, sa contribution au financement des films français. Le gouvernement prévient que, pour s’installer ici, Netflix devra se plier à la réglementation. En face, le consommateur attend, voire trépigne. Car Netflix, c’est un argument de poids : 8 dollars par mois (6 euros) accessible sur ordinateur, tablette ou télé … contre 39,90 euros pour Canal +. Qui, certes, avance ses films en première exclusivité, ses productions propres (les Revenants, Braquo, etc.). Mais Netflix, c’est une centaine de milliers de films et des wagons de séries à disposition en streaming.

    Symbole. Aux Etats-Unis, celui qui a commencé en 1997 à Los Gatos, Californie, comme loueur par voie postale de DVD commandés sur le Web a fait du chemin. Jusqu’à un tiers du trafic Internet squatté chaque jour, 33 millions d’abonnés américains – c’est ce que pèsent les deux premiers câblo-opérateurs – et désormais 40 millions depuis que Netflix s’est élancé hors des Etats-Unis. Canada, Mexique, Brésil et une partie de l’Europe. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Scandinavie… Restent deux morceaux de choix : l’Allemagne et la France.

    Du Luxembourg, où est installé son siège européen, Netflix observe. Trois ans désormais que le débarquement en France est attendu, espéré et redouté. Entre-temps, la société de Los Gatos a grossi, encore. En 2013, symbole, elle a même piqué le contrat avec les studios Dreamworks à la chaîne américaine payante HBO. Mieux, elle s’est mise à produire ses propres séries, comme les grandes télés, comme les vieilles télés. Il y a eu d’abord Lillyhammer, genre de Soprano repenti planqué en Norvège. Pas mal. Et puis il y a eu House of Cards et, là, Netflix bouscule sérieux le monde de la télé payante : David Fincher au scénario et à la caméra, Kevin Spacey et Robin Wright devant. Wow ! D’autant que la série est un petit bijou de cynisme politique, plus ouvragé encore qu’A la Maison blanche. Canal +, d’ailleurs, ne s’y trompe pas et se paye les droits de House of Cards pour la diffusion télévisée en France.

    Affolement. La chaîne cryptée ne compte pas se laisser tondre les abonnés sur le dos et, en prévision de l’arrivée de Netflix et pour répondre aux usages de consommation de séries, a lancé récemment Canal + Séries, une nouvelle déclinaison aux côtés de Canal + Cinéma, Décalé, etc. et sans supplément de prix. «Canal + est dans une logique d’offrir de plus en plus de services à ses abonnés», constate un spécialiste des médias. Car, quoi qu’elle s’en défende, c’est une ligne Maginot que creuse la chaîne cryptée et ce, depuis 2011 où elle lance CanalPlay, un genre de Netflix français mais avec un catalogue beaucoup moins étoffé, qui compte aujourd’hui 300 000 abonnés. Le déclencheur de CanalPlay à l’époque ? Netflix a commencé à acquérir des droits pour la France… Dernière arme de dissuasion de Canal + lancée en janvier, Canal OTT qui regroupe ses offres mobile et Internet, avec à sa tête rien de moins que Manuel Alduy, l’ex-directeur du cinéma à Canal +.

    Ça ne suffira pas. La France, Netflix en veut. Il suffit d’accoler les deux mots pour affoler le milieu. Netflix s’offre en douce des droits de diffusion en France ? Affolement. Netflix publie une offre d’emploi pour un poste de relations publiques pour lequel «la pratique de l’allemand et du français serait un plus» ? Affolement. Alors quand, en décembre, des représentants de Netflix sont reçus à l’Elysée par David Kessler, le conseiller de François Hollande en charge de la culture, c’est la panique. Les hommes de Los Gatos sont en fait venus fumer le calumet de la paix, à la coule : poliment, ils présentent leur modèle ; poliment, Kessler leur répond que why not, mais s’agirait pas de «déstabiliser» Canal +, ce rouage essentiel de la télévision et, surtout, du cinéma français.

    Et voilà que Netflix se relance ces jours-ci dans une deuxième tournée des popotes institutionnelles. Culture, Bercy, tout le monde y passe. «Les gens de Netflix qui reviennent, racontait récemment Pascal Rogard, puissant patron de la SACD, qui représente les artistes et tout le gratin du cinéma, ce sont les opérationnels, ceux qui discutent les contrats.»

    Car Netflix commence à connaître la chanson de la réglementation française. L’un des tout premiers à la lui avoir entonnée, c’est Emmanuel Gabla, du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). En mai 2012, il est à Los Gatos. «Je leur ai donné les textes réglementaires, raconte-t-il à Libération. Ils ont remarqué que nos obligations sont, disons, complètes.» Si, aux Etats-Unis, Netflix négocie directement avec les studios la diffusion des films après leur sortie en salles (certains ne passent même pas par la case pop-corn, débarquant directement en ligne), il en va tout autrement en France : c’est la redoutable chronologie des médias qui établit un calendrier de diffusion des films, selon les supports, de manière à préserver leur vie en salles. Ainsi, si Canal + peut diffuser des films dix mois après leur sortie, Netflix devrait poireauter, comme les autres services de vidéos sur abonnement (Love Films d’Amazon ou le français Filmo TV)… deux ans et demi ! Un délai qui pourrait passer à dix-huit ou vingt mois comme le préconisent de récents rapports. Il y a justement une fenêtre pour renégocier les accords en avril. Mais Netflix en a-t-il cure ? «Le modèle de Netflix, ce sont plutôt les films un peu datés et, surtout, les séries», estime Pascal Rogard. D’ailleurs Netflix vient d’annoncer une aimable levée de fonds de 400 millions de dollars (292 millions d’euros) destinés à financer son OPA européenne en produisant des séries.

    Écot. La véritable inquiétude liée à l’arrivée de Netflix est en fait bien plus triviale : money, money, money. En France, Netflix devrait, sitôt passé le seuil de 10 millions d’euros de chiffre d’affaire, passer à la caisse et apporter son écot à la production française et européenne. Et si, plutôt que de se plier à la législation française, Netflix, se la jouait à la iTunes d’Apple, en envahissant la France depuis son siège luxembourgeois ? Tentant, mais pas très diplomatique à l’heure où les exils irlandais de Google et Facebook courent sérieusement sur le haricot des autorités tant françaises qu’européennes. Dans le JDD, la ministre Aurélie Filippetti a prévenu : «Netflix doit se plier aux régulations.»

    Alors marchera, marchera pas ? Pour certains, c’est plié : «Netflix correspond à un usage sociétal, celui de la télé à la demande. On ne peut pas aller contre un usage», juge un spécialiste. Canal + se refuse à commenter officiellement, mais on y fait remarquer qu’entre la chaîne cryptée et Canalsat, «on a une offre streaming supérieure à n’importe quel autre service de VOD, il n’y a pas, pour le téléspectateur, la même frustration qu’aux Etats-Unis». Vendredi soir, ce n’était plus de la frustration que ressentaient les premiers spectateurs de House of Cards sur Netflix mais une totale addiction, distillée sur Twitter : «Il faut que… j’arrête de… regarder…»

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