Luc Peillon

Selon le Larousse, l’une des définitions du mot communauté est la suivante : «groupe social ayant des caractères, des intérêts communs», ou encore, «groupe de personnes vivant ensemble et poursuivant des buts communs». Selon cette définition, que doit-on entendre derrière le terme «communauté musulmane» ? Quelle est son périmètre, combien de personnes regroupe-t-elle ? Les fidèles, déclarant une pratique religieuse régulière, tel qu’il est compris lorsque l’on parle de la «communauté catholique» en France ? Non, le sous-entendu, quand ce terme figure dans un article, et bien compris à la fois de l’auteur et du lecteur, est qu’il s’agit en réalité de l’ensemble des immigrés ou enfants d’immigrés originaires d’un pays à dominante musulmane. Soit près de 6 millions de personnes dans l’Hexagone. Outre le fait que seuls un tiers d’entre eux se déclarent «croyants», ce qui recoupe les chiffres de l’Ined, les croyants musulmans en France, déjà divisés par trois par rapport au postulat de départ, constituent-ils pour autant une «communauté», c’est-à-dire partageant des «intérêts» ou des «buts» communs ?

2 thoughts on “Luc Peillon

  1. shinichi Post author

    Les dangers d’une dérive sémantique

    par Luc Peillon

    http://www.liberation.fr/societe/2014/07/22/les-dangers-d-une-derive-semantique_1068414

    Tous les journalistes – l’auteur de ces lignes compris – cèdent, ou ont cédé, à la facilité sémantique. Par manque de temps, d’inspiration, ou encore par lassitude, dans le cadre d’un métier qui nous oblige parfois à écrire un papier par jour, et sous la pression d’un compte à rebours de plus en plus resserré, à mesure que les journaux – pour des raisons d’économies – abaissent l’heure de leur bouclage. Mais il est aussi des facilités qui ne répondent plus à ces contraintes, mais à une incapacité intellectuelle et journalistique à décrire une réalité complexe. Un raccourci sémantique répété en boucle qui conduit non plus à esquiver cette difficulté mais à décrire à tort, et donc finalement à transformer la réalité elle-même. Et en ces temps de résurgence des violences au Proche-Orient, la palme de cette facilité revient au terme «communauté». «Communauté musulmane» d’un côté, «communauté juive» de l’autre, les tensions «intercommunautaires» farcissent, jusqu’à la nausée, les articles et sujets audiovisuels relatant les répercussions de ce conflit en France. Un terme à la fois erroné, journalistiquement, mais aussi lourd de sous-entendus.

    Selon le Larousse, l’une des définitions du mot communauté est la suivante : «groupe social ayant des caractères, des intérêts communs», ou encore, «groupe de personnes vivant ensemble et poursuivant des buts communs». Selon cette définition, que doit-on entendre derrière le terme «communauté musulmane» ? Quelle est son périmètre, combien de personnes regroupe-t-elle ? Les fidèles, déclarant une pratique religieuse régulière, tel qu’il est compris lorsque l’on parle de la «communauté catholique» en France ? Non, le sous-entendu, quand ce terme figure dans un article, et bien compris à la fois de l’auteur et du lecteur, est qu’il s’agit en réalité de l’ensemble des immigrés ou enfants d’immigrés originaires d’un pays à dominante musulmane. Soit près de 6 millions de personnes dans l’Hexagone. Outre le fait que seuls un tiers d’entre eux, selon le ministère de l’Intérieur, se déclarent «croyants», ce qui recoupe les chiffres de l’Ined, les croyants musulmans en France, déjà divisés par trois par rapport au postulat de départ, constituent-ils pour autant une «communauté», c’est-à-dire partageant des «intérêts» ou des «buts» communs ? Quels «intérêts communs» existent-ils ainsi entre mon confrère Rachid, qui fait le ramadan et ne boit pas d’alcool, mais qui n’est pas le dernier pour aller faire la fête tard le soir dans les bars et boîtes parisiennes, et les salafistes que je croise régulièrement rue Léon ou Myrha, dans le XVIIIe arrondissement parisien ? Quel «but commun» entre mon ami barman Samir, qui aime et sait conseiller la bonne bière tout en se revendiquant croyant, et les intégristes fanatisés de la rue Jean-Pierre- Timbaud, dans le XIe ? Font-ils partis de la même communauté ? Où classer, dans ces conditions, Rachid Taha, Jamel Debbouze, ou encore Najat Vallaud-Belkacem ? Même chose pour la «communauté juive». Combien de «buts communs» mon amie Nina, juive selon les critères de cette religion et soutien à la cause palestinienne, partage-t-elle avec les loubavitch du XIXe ? Ou encore entre les ultra-orthodoxes et mon ami Simon, juif selon les mêmes critères et passionné par cette culture, mais qui exècre la pratique religieuse et la politique menée par la droite israélienne ?

    L’utilisation massive de ce terme par mes confrères n’est pas seulement erronée, elle est aussi enfermante, et donc dangereuse. Particulièrement pour les musulmans, supposés ou réels. Car il n’y a pas de juste milieu avec la communauté : on en fait partie ou non. Les petits Omar, Mohammed ou Medhi, qui depuis leur naissance en France ne cessent d’entendre ou de lire «communauté musulmane», sont ainsi acculés à opérer une identification sur une base religieuse. Leur est ainsi dénié le droit à l’émancipation religieuse, qui constitue pourtant l’un des piliers d’un Etat laïque et moderne tel que la France. Bref, alors même que la pression qui est parfois exercée sur eux est déjà forte – culpabilisation de la part d’intégristes, de leurs parents, de certains de leurs proches, notamment pour les filles – nous, journalistes, validons cette théorie d’un ensemble musulman homogène en France, avec le terme «communauté».

    Confrères, je sais la tâche difficile : il faut mettre des mots sur des faits, des groupes sociaux, des phénomènes de société. Le tout dans le cadre d’un nombre contraint de caractères typographiques ou de temps d’antenne. Mais décrire la réalité ne doit pas conduire à la déformer, ou pire, à la «reformer».

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  2. shinichi Post author

    (sk)

    ひとりひとり、信じていること、考えていることが、違う。それなのに、ひとりひとりのことは、新聞記事から消えてしまう。

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