Gaston Bachelard

Dès l’instant où l’on sentirait nettement que notre connaissance du réel est susceptible d’une rectification indéfinie, sur le rythme d’une approximation mathématique, on serait bien près de désigner la chose en soi. On en verrait la place, on en verrait le rôle. Autour de cette chose en soi, fine et pure comme un nombre, on pourrait suivre les oscillations amorties de l’idéalisme.

One thought on “Gaston Bachelard

  1. shinichi Post author

    Essai sur la connaissance approchée

    par Gaston Bachelard (1884 – 1962)

    (1969)

    http://classiques.uqac.ca/classiques/bachelard_gaston/essai_connaissance_approchee/essai_connaissance_approchee.pdf

    Connaître, c’est décrire pour retrouver. Parfois, c’est la première tâche qui domine, elle semble même exclusive et la fonction d’utilité n’apparaît pas comme immédiate. Dans d’autres sciences, au contraire, les notions s’appellent avec une telle force qu’on peut restreindre la description, on peut se borner à de sommaires définitions, certain qu’on est de retrouver à leur place, dans un ordre logique, dans le cadre même de l’esprit, les diverses et successives qualités des êtres définis. Mais à y regarder d’un peu plus près, dans les deux cas une double nécessité se fait jour : il faut être complet, mais il faut rester clair. Il faut prendre contact, un contact de plus en plus étroit avec le réel, mais l’esprit doit être alerte, familier avec ses perspectives, assuré de ses repères.

    Ainsi, quand on place, la connaissance devant sa tâche complète d’assimilation et d’utilisation, au cœur même de l’opposition traditionnelle du donné et de la raison, on s’aperçoit tout de suite qu’elle implique dans son développement comme dans son objet un conflit intime qu’elle ne peut jamais apaiser totalement. Sa perfection est une limite centrale qui réunit deux conditions contraires : la minutie et la clarté. Cognitio…. si simul adœquata, et intuitiva sit, perfectissima est.

    Si, dans notre définition provisoire de la connaissance, nous eussions mis l’accent sur ses conditions logiques, la clarté nous eût été accordée par surcroît. Mais un savoir purement déductif n’est, à notre point de vue, qu’une simple organisation de cadres, du moins tant qu’on n’a pas assuré dans le réel la racine des notions abstraites. D’ailleurs le progrès même de la déduction, en créant des abstractions nouvelles, réclame une référence continuelle au donné qui déborde, par essence, le logique. Devant la nature, l’heure de la généralisation complète et définitive n’est jamais sonnée.

    C’est donc à tort qu’on prétendrait assigner à la connaissance réelle un sens unique. Pour la saisir dans sa tâche vivante il faut la placer résolument dans son oscillation, au point où convergent l’esprit de finesse et l’esprit géométrique. Donner l’avantage à la généralisation sur la vérification, c’est oublier le caractère hypothétique d’une généralité qui ne trouve sa sanction que dans sa commodité ou sa clarté. Dès que la vérification intervient, comme en fait elle n’est jamais totale, elle segmente en quelque sorte la généralisation et pose des problèmes nouveaux. Le progrès scientifique suit ainsi une double voie.

    Pour résister à la tendance systématique, si séduisante pour le philosophe, nous devons donc donner son plein sens à la description initiale et ne pas perdre de vue que la description est, tout compte fait, la fin de la science. Il faut en partir. Il faut y revenir.

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